Saadia Muzaffar

Saadia

Le 6 avril 2021, trois membres du CA d’HFC ont eu une discussion virtuelle pour réfléchir aux apprentissages du secteur des maisons d’hébergement après un an de pandémie de COVID-19, et sur leur vision de l’avenir. Saadia Muzaffar, directrice et fondatrice de TechGirls Canada, a facilité une conversation entre les coprésidentes du CA Jo-Anne Dusel (directrice générale de la Provincial Association of Transition Houses and Services of Saskatchewan – PATHS) et Gaëlle Fedida (coordonnatrice de L’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale). Par où sommes-nous passées? est la première partie d’une version éditée de cette conversation. La deuxième partie, Où allons-nous à partir de maintenant? sera publiée mercredi prochain.

Saadia: Merci à vous deux de vous joindre à moi aujourd’hui. Lorsque la COVID-19 a frappé en mars 2020, quels ont été les défis immédiats auxquels les maisons partout au Canada ont été confrontées?

Gaëlle: Le défi immédiat était bien sûr la crainte du virus, tant pour le personnel que pour les résidentes. Nous n’avions pas de soutien gouvernemental, mais grâce à mes contacts, j’ai pu faire en sorte que toutes nos maisons d’hébergement disposent de protocoles sanitaires adéquats en l’espace d’une semaine. Au cours de l’été, Santé publique a vu ce que nous faisions et nous a demandé de lui communiquer ces protocoles afin de les mettre en œuvre ailleurs. L’absence de réaction  du gouvernement a entraîné une pénurie d’espace dans les maisons, car certaines ont dû créer elles-mêmes des zones de quarantaine à l’interne en cas d’infection. Cela a réduit l’accès des femmes qui sont à la recherche d’une place en maison d’hébergement.

Jo-Anne: Au cours de la première semaine, on cherchait des informations partout. De nombreuses maisons d’hébergement disposaient déjà de plans de lutte contre la pandémie mis en place lorsque le virus H1N1 était préoccupant en 2009. Les maisons qui n’avaient pas de plan ou qui ne les avaient pas mis à jour récemment se sont tournées vers PATHS pour les aider à assurer la sécurité de leur clientèle et de leur personnel. Comme l’a dit Gaëlle, le gouvernement a été un peu en retard à soutenir les maisons de cette manière. Il y avait tellement de facteurs inconnus à l’époque, et on appréhendait la gravité de la situation. J’accorde beaucoup de crédit aux directrices et au personnel des maisons pour avoir agi si rapidement et mis en place ces procédures. Le travail accompli par HFC à l’échelle nationale nous a vraiment aidées à partager les meilleures pratiques et à réduire le niveau de peur en aidant les maisons à se doter de plans solides.

Saadia: Nous savons que les maisons d’hébergement sont capables de trouver des solutions créatives lorsque confrontées à des défis. Comment le secteur a-t-il réagi à la COVID-19 pour pouvoir continuer à appuyer les femmes et assurer leur sécurité?

Gaëlle Fedida

Gaëlle Fedida

Gaëlle: Nous avons dû beaucoup nous adapter pour garantir la distanciation physique, de sorte que les maisons ont accru leurs services externes et de proximité. Par exemple, le counseling par Internet est devenu plus fréquent. Pendant les fermetures, nous avons constaté une réduction des demandes d’hébergement, mais pas des demandes de counseling. Lorsque la situation s’est améliorée, les demandes d’hébergement ont augmenté de façon spectaculaire. La COVID-19, bien sûr, n’a pas résolu le problème d’espace que nous avions auparavant; au contraire, elle l’a exacerbé.

Jo-Anne: Je suis tout à fait d’accord avec Gaëlle. Parmi les moyens mis en œuvre pour assurer la sécurité des clientes et du personnel, citons la réduction du taux d’occupation et le renforcement des protocoles de nettoyage. Certaines ont pu aménager des espaces de quarantaine pour les femmes vulnérables au virus, ayant été exposées ou en attente de tests, mais cette possibilité était limitée par leur structure physique. Il est certain que le recours aux hôtels est devenu très important. Alors que certaines maisons ont vu une réduction des appels et d’autres une augmentation, tout le monde s’accorde à dire que les appels concernaient des cas très graves, où la violence était brutale et où sévissaient également des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. La rareté des appels de femmes ayant des enfants persiste à ce jour. Il a donc été difficile de faire en sorte que les femmes avec enfants se sentent en sécurité dans les maisons. Je crains que nous ne rejoignons pas encore toutes celles qui ont besoin d’hébergement.

Saadia: Vous avez toutes deux évoqué l’utilisation de la technologie comme une aide pour compenser les limites d’accès dues à la COVID-19. Pourriez-vous nous parler de certains des défis liés à l’utilisation de la technologie et nous dire comment la rendre plus utile à l’avenir?

Gaëlle: Cela nous a vraiment ouvert l’esprit à de nouvelles façons de servir les femmes. Même avant la COVID-19, tout le monde ne pouvait pas venir physiquement chez nous. Le débat est toujours ouvert sur la meilleure façon d’atteindre toutes les personnes qui pourraient avoir besoin de soutien. C’est un nouveau développement qui, pour moi, ne reviendra pas en arrière. Nous pouvons désormais aider des femmes que nous n’aurions pas pu atteindre autrement. Il est toujours bon d’avoir plus de moyens de contact entre les femmes et nous, qu’elles puissent nous trouver, savoir que nous sommes là, et comprendre que nous pouvons les soutenir. Une maison d’hébergement est bien plus qu’un lit. C’est pourquoi les services externes doivent être renforcés, surtout en cas de manque de place.

Jo-Anne Dusel

Jo-Anne Dusel

Jo-Anne: Je confirme. J’aimerais aborder certains des défis liés à l’utilisation de la technologie. Notamment, la confidentialité – un partenaire violent est-il susceptible de vérifier vos appareils et cela peut-il augmenter le risque? Comment pouvons-nous, en tant que prestataires de services, nous assurer que les femmes qui nous contactent par le biais de la technologie connaissent les règles de sécurité? Par exemple, en utilisant une fonction de clavardage en direct plutôt qu’un message texte qui pourrait augmenter le risque de violence supplémentaire. Nous avons vraiment apprécié le soutien d’autres associations provinciales, en particulier la BCSTH; nous avons pu partager leurs informations sur la sécurité technologique avec nos organisations membres. Des groupes Facebook privés ont remplacé certains groupes de soutien en personne, et ce sont de très bons moyens pour le personnel de proximité de continuer à travailler avec la clientèle. Je pense que nous continuerons à utiliser ces moyens, en particulier avec les jeunes qui sont plus à l’aise avec cette technologie.

Saadia: Beaucoup de changements ont été effectués à la dernière minute pour répondre aux besoins de la pandémie, dans un secteur où les ressources sont souvent insuffisantes par rapport à la demande. Comment pensez-vous que cette pandémie va changer le fonctionnement des maisons, autre que la technologie?

Jo-Anne: Nous avons appris de nombreuses choses qui, selon moi, sont là pour rester. L’une des plus importantes, selon moi, consiste à imaginer à quoi ressembleront les maisons à l’avenir, quand de nouvelles installations seront construites. Chaque femme ou famille devrait avoir sa propre salle de bain, ce qui est rarement le cas dans la structure physique actuelle des maisons. Nous n’avons pas encore trouvé le moyen de faire savoir aux gens que nous sommes disponibles et qu’il est possible d’accéder à nos services sans avoir à séjourner physiquement dans la maison.

Gaëlle: Un autre angle concerne la relation avec le ministère de la Santé. La pandémie nous a fourni l’occasion d’avoir une discussion suivie toutes les deux semaines. Nous avons développé des liens plus étroits avec le personnel du ministère; nous avons dû travailler ensemble pour résoudre des problèmes, et cela a amélioré la qualité de notre relation. Je crois les choses ont changé pour le mieux, à long terme.

Saadia: Est-ce que d’autres relations se sont améliorées pendant la pandémie, ou est-ce que d’autres relations auraient dû s’améliorer, ce qui faciliterait le travail des maisons à long terme?

Gaëlle: Ce que j’ai dit à propos du ministère est également vrai pour nos membres – au sein de nos associations, nous nous sommes rapprochées de nos membres en nous réunissant chaque semaine ou toutes les deux semaines pendant la pandémie. Cela a beaucoup renforcé la cohésion au sein des associations provinciales. C’est quelque chose que nous pouvons poursuivre à l’avenir, ce sentiment de s’en sortir ensemble.

Jo-Anne: Il est intéressant pour moi de voir à quel point les relations sont différentes d’une province et d’un territoire à l’autre. En Saskatchewan, nous avons eu du mal à établir une quelconque connexion avec le système de santé. Lorsque j’ai demandé des choses comme le dépistage et la vaccination prioritaires pour le personnel et la clientèle des maisons, je n’ai rien obtenu. Donc pour nous, notre relation avec le système de santé n’a pas progressé. En revanche, nos relations avec le ministère de la Justice, qui est le bailleur de fonds de nos membres, se sont bonifiées. Ils ont tenu des réunions de consultation régulières avec toutes les organisations que finance le ministère, leur demandant ce dont elles avaient besoin et faisant de leur mieux pour répondre à ces besoins. Chez PATHS, nous avons également consolidé nos liens avec nos membres, ainsi qu’avec HFC et les autres associations provinciales et territoriales du pays. Le partage de l’information, des défis et des solutions potentielles a été très apprécié. Il était tellement important pour nos membres, et pour moi-même, d’entendre que d’autres vivaient la même chose.

Demeurez à l’affut mercredi prochain pour la deuxième partie de ce blog, Où allons-nous à partir de maintenant?

Pour plus de témoignages sur la façon dont le secteur des maisons d’hébergement a vécu et réagi à la pandémie de COVID-19, consultez notre liste de lecture sur YouTube et Les maisons s’expriment 2020.