Le 6 avril 2021, trois membres du CA d’HFC ont eu une discussion virtuelle pour réfléchir aux apprentissages du secteur des maisons d’hébergement après un an de pandémie de COVID-19, et sur leur vision de l’avenir. Saadia Muzaffar, directrice et fondatrice de TechGirls Canada, a facilité une conversation entre les coprésidentes du CA Jo-Anne Dusel (coordonnatrice provinciale de la Provincial Association of Transition Houses and Services of Saskatchewan) et Gaëlle Fedida (coordonnatrice de L’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale). Voici la deuxième partie d’une version éditée de cette conversation, Où allons-nous à partir de maintenant?. Voir la première partie ici.
Saadia: Certains signes alarmants indiquent que la violence conjugale a augmenté ou s’est aggravée pendant la pandémie. Notamment, il y a eu 8 féminicides en 8 semaines au Québec cette année (note: depuis le tournage, 10 femmes ont été tuées au Québec en 2021), et la Colombie-Britannique a également connu 7 féminicides en 2021. Que peut faire le secteur pour y répondre?
Gaëlle: Vous avez peut-être constaté qu’il y a eu une grande mobilisation à ce sujet au Québec. Voilà le travail que nous faisons. Il est absolument nécessaire de faire campagne, mais nous devons aussi continuer à plaider pour un Plan d’action national. Les problèmes de violence conjugale ne concernent pas seulement les maisons d’hébergement – les femmes qui ont été tuées n’étaient pas dans des maisons, mais les hommes étaient tous connus de la police. C’est le système judiciaire qui doit changer en profondeur. Tous les gouvernements doivent comprendre qu’il s’agit d’un problème qui ne peut être résolu uniquement par les maisons.
Jo-Anne: Afin de lutter contre les taux continus et croissants de violence faite aux femmes, y compris la violence entre partenaires intimes, nous devons reconnaître l’ampleur du problème. Pendant trop longtemps, lorsque des homicides entre partenaires intimes avaient lieu, ils faisaient l’objet de trois lignes en page 5 du journal. La sensibilisation du public au cours de la dernière année a été utile. Les meurtres perpétrés en Nouvelle-Écosse ont été si horribles que les gens ont dû se rendre compte que ce type de violence est ancré dans la misogynie et le patriarcat. La seule façon de modifier cette situation passe par un véritable changement de culture. C’est un problème qui affecte toute la société et il faudra que toute la société se mobilise pour le résoudre.
Cliquez ici pour une courte vidéo d’une partie de cette discussion (en anglais)
Saadia: De nombreuses organisations et militantes ont appelé à une reprise équitable après la COVID-19, plutôt qu’à un retour à la normale. Nous savons que la « normale » ne fonctionnait pas pour les femmes, en particulier pour celles issues de communautés marginalisées et celles qui subissent des violences. À quoi ressemblerait une reprise équitable pour le secteur des maisons d’hébergement et pour les survivantes?
Jo-Anne: Nous devons reconnaître que la pandémie a touché les femmes de manière disproportionnée, et ce de plusieurs manières: plus de femmes que d’hommes ont perdu leur emploi, les femmes sont désormais responsables de la garde des enfants et de l’enseignement à domicile tout en travaillant depuis chez elles, et en plus de ça elles ont traditionnellement occupé des emplois moins rémunérés qui sont désormais considérés comme essentiels. Nous devons donc examiner les façons dont l’inégalité économique a entraîné des conséquences plus graves pour les femmes en général. Et cela aidera toute personne vulnérable à la violence, y compris les femmes que nous servons dans nos maisons d’hébergement.
Gaëlle: La façon d’aller de l’avant consiste à s’assurer que l’analyse comparative entre les sexes fait partie de toutes les lois et de tous les budgets publics. C’est exactement ce que nous n’avions pas récemment au Québec. C’est la seule façon d’avancer, c’est la seule façon de changer structurellement toutes les lois et les mécanismes qui ont cours aujourd’hui. Malheureusement, cela ne semble pas se produire dans notre province.
Saadia: Vous avez toutes deux évoqué l’interconnexion d’un grand nombre de problèmes sociaux qui ont un impact sur la sécurité des femmes. Pouvez-vous parler de parties spécifiques du Plan d’action national (PAN) pour les gens qui ne savent pas ce qu’il préconise et comment il présente la situation dans son ensemble?
Jo-Anne: Récemment, Hébergement femmes Canada a été financée par le ministère Femmes et Égalité des genres Canada (FEGC) pour réunir des expertes de tout le pays afin d’établir un cadre de recommandations pour l’élaboration du PAN. Ce travail a été divisé en quatre piliers: prévention, soutien aux survivantes et à leurs familles, promotion de systèmes juridiques et judiciaires adaptés, infrastructure sociale et environnement favorable, y compris le logement et la garde d’enfants. Ce PAN sera élaboré parallèlement à un PAN spécifique aux femmes des Premières Nations, les métisses et les inuites. Il s’agit d’une vue d’ensemble que nous devons réduire à un plan qui aura l’impact réel et durable que nous recherchons.
Saadia: Que peuvent faire les gouvernements et le public pour soutenir une relance équitable qui n’exclut pas les survivantes?
Gaëlle: La voie à suivre pour que les gouvernements relancent l’économie avec les femmes après la COVID consiste à réaliser, à tous les paliers, une analyse comparative entre les sexes de tous les budgets et toutes les politiques publiques. C’est la seule façon structurelle de parvenir à changer le paradigme.
Jo-Anne: Inclure les survivantes dans les discussions est une autre façon de parvenir à une relance équitable et de s’assurer que les survivantes ne sont pas oubliées. Et de les écouter. Et de mettre en œuvre. D’agir en fonction de ce qu’elles vous disent. Les militantes, notamment les intervenantes dans les maisons d’hébergement, les associations provinciales et territoriales et Hébergement femmes Canada, peuvent également faire entendre leur voix. Mais si nous voulons vraiment une reprise équitable qui ne laisse pas les survivantes pour compte, il faut leur parler directement et leur fournir ce dont elles disent avoir besoin.
Saadia: Que peuvent faire les membres du public, qui lisent peut-être ces lignes, à part appuyer l’appel en faveur d’un Plan d’action national?
Gaëlle: Dans l’immédiat, nous souhaitons que le public soit sensibilisé. C’est un problème de société; les gens pensent que ce n’est pas leur problème. Ils y voient un enjeu familial, un problème privé. Nous les exhortons à apporter leur soutien à leur sœur, leur fille, leur mère, leur tante, leur cousine, leur amie, leur voisine. La violence conjugale est très rarement complètement camouflée. Tous les membres de la société devraient pouvoir en parler avec leurs proches, leur tante, leur oncle – toutes les personnes qui ont besoin de l’entendre.
Jo-Anne: Je suis d’accord – le grand public doit s’impliquer dans cette question. La violence faite aux femmes n’est pas un problème privé. C’est l’affaire de toute la société et tout le monde a un rôle à jouer pour y remédier. Il faut donc remettre en question les attitudes qui normalisent la violence, en particulier dans les relations amoureuses, et même le langage, qui tend à rabaisser les femmes ou à considérer les femmes et les autres sexes marginalisés comme « moins que ». Le grand public peut soutenir les organisations qui font ce travail, comme les maisons d’hébergement et les services de counseling de leur région. Le public peut plaider auprès des élus et leur dire: « Cette question est importante pour moi. Nous avons besoin de lois et de politiques proactives. Nous devons soutenir financièrement les survivantes pour qu’elles puissent repartir sur de nouvelles bases, sans violence ».
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez êtes victime de violence au foyer, il existe des soutiens auxquels vous pouvez faire appel jour et nuit. Hebergementfemmes.ca est une carte en ligne interactive qui vous permet d’accéder à la maison d’hébergement pour femmes de votre région et à sa ligne d’écoute téléphonique 24/7. Il n’est pas nécessaire de résider dans une maison pour bénéficier de services tels le counseling et la planification de sécurité. Les proches, la famille et les voisins sont encouragés à téléphoner à une maison pour obtenir des conseils s’ils soupçonnent qu’une personne de leur entourage est victime de violence.
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