Tracy Myers

Créé en 1992 par les maisons d’hébergement de la Colombie-Britannique, le programme Prevention, Education, Advocacy, Counselling, Empowerment (PEACE) est un programme communautaire gratuit et confidentiel destiné à soutenir les enfants et les jeunes ayant été exposés à la violence au foyer. Les intervenantes PEACE proposent des services individuels et en groupe, des partages d’informations avec les personnes responsables n’étant pas le délinquant et des présentations antiviolence dans les écoles.

PEACE s’est développé au fil des ans et regroupe aujourd’hui 86 programmes dirigés par 150 intervenantes partout en Colombie-Britannique. C’est avec enthousiasme que nous avons élargi nos activités grâce à l’introduction d’un nouveau projet national de trois ans. Le nouveau projet PEACE pour les enfants et les jeunes au Canada est dirigé par la BC Society of Transition Houses (BCSTH) en partenariat avec Hébergement femmes Canada (HFC). Il vise à offrir formation et mentorat au personnel des maisons d’hébergement dans les communautés nordiques, rurales et éloignées au pays. L’objectif est d’aider ces organisations à fournir des soins spécialisés aux enfants et aux jeunes qui ont subi ou été témoins de violence fondée sur le genre.

La coordonnatrice de l’échange de connaissances d’HFC, Chandrabarna Saha, a eu le plaisir de s’entretenir avec Tracy Myers, intervenante PEACE. Elle a non seulement partagé ses expériences du programme existant, mais aussi ses espoirs pour le nouveau projet d’expansion de PEACE pour les enfants et les jeunes au Canada. Tracy travaille depuis plus de 30 ans dans le secteur caritatif de la lutte contre la violence, en mettant l’accent sur les enfants, les jeunes et les familles exposées à de violence au foyer.

Chandrabarna Saha: Pouvez-vous nous parler du moment où vous avez commencé à vous impliquer dans le programme PEACE en Colombie-Britannique?

Tracy Myers: Le programme Peace est un service gratuit et confidentiel offert aux enfants et aux jeunes exposés à la violence au foyer en Colombie-Britannique. Tout a débuté en 1992, grâce à la sagesse du personnel des maisons d’hébergement qui a constaté que les enfants et les jeunes vivaient leurs propres expériences et donc qu’ils avaient grandement besoin d’un soutien ciblé pour offrir une réponse qui soit appropriée et digne. Elles ont été les premières à remarquer que les enfants sont affectés physiquement et psychologiquement lorsqu’ils sont témoins ou qu’ils subissent de la violence de la part d’une personne dont ils dépendent.

J’ai commencé à travailler à l’échelle locale contre la violence, sur les lignes d’écoute pour les victimes de viol et dans les refuges pour femmes toxicomanes. Lorsqu’un poste pour le programme PEACE s’est libéré, mes cellules se sont tout simplement alignées. Cheminer aux côtés des jeunes, étant moi-même une survivante, se réunir avec d’autres intervenantes en counseling et les soutenir, c’est le travail le plus passionnant que j’aie jamais fait.

CS: Qu’est-ce qui rend l’approche PEACE aussi unique et fructueuse?

TM: Je pense qu’il y a des éléments fondamentaux dans le programme qui le distinguent des autres approches. À la base, la violence est une atteinte à la dignité d’une personne ou d’une communauté. Dans le programme PEACE, l’idée est de rendre hommage et de donner un sens à la façon dont les gens réagissent, car très souvent, leur comportement est perçu comme étant pathologique. La façon dont les individus réagissent et comprennent la violence est remarquable; c’est de la pure résistance. Sous cet angle, vous pouvez effectivement renforcer et soutenir leur comportement au lieu de le considérer comme répréhensible.

Je pense que PEACE est également unique en ce qu’il honore la relation entre l’enfant et la personne qui s’en occupe. De nombreux services séparent les enfants et les jeunes de leur cellule familiale et de leur communauté; en fait, la violence au foyer perturbe la relation entre l’enfant et la personne qui en est responsable. Non seulement la dignité de la mère est-elle atteinte par la violence, mais aussi sa dignité devant ses enfants. Le fait d’inclure la personne responsable et de parler de la façon dont elle a résisté est aussi un point par lequel PEACE se démarque fondamentalement, en reconnaissant que tout le monde est touché et résiste.

CS: Comment l’approche de PEACE intègre-t-elle les besoins complexes des enfants et des jeunes qui sont PANDC, 2ELGBTQ+, ou en situation de handicap?

TM : Le personnel de la BCSTH est diversifié et, je crois, fait preuve d’humilité et souhaite apprendre des personnes et de leurs expériences de vie. Cela commence par des questions telles que: «Comment puis-je répondre d’une manière digne à quelqu’un qui ne parle pas forcément anglais ou qui a un vécu de violence systémique différent de ma propre expérience?» Ou encore: «Comment puis-je établir des liens dignes avec les peuples sur les terres desquels est située mon organisation?»

L’approche PEACE utilise le féminisme intersectionnel d’une manière très ancrée et enracinée, ce qui signifie qu’en fonction de ma situation (ma race, sexualité, classe), j’interagis avec ces systèmes de façons différentes. La culture canadienne a une histoire de domination et de violence qui persiste. C’est là que le travail de la BCSTH commence.

CS: HFC et la BCSTH collaborent en ce moment pour partager l’approche PEACE avec des maisons d’hébergement à travers le pays en l’adaptant au contexte de première ligne. Quels sont vos espoirs pour cette nouvelle phase du projet?

TM: Quand j’en ai entendu parler pour la première fois, j’ai été enthousiaste, puis terrorisée (rires). Dans ma propre vie et dans mon travail durant les 20 dernières années, j’ai compris que l’isolement et le sentiment de solitude sont une réelle menace pour nous en tant qu’espèce. Je pense que l’un de mes plus grands espoirs est que les personnes qui, dans des régions disparates du pays, font ce travail, probablement sans être reconnues ou vraiment vues, se sentent valorisées, soutenues et connectées lorsqu’elles aident les enfants et les jeunes exposés à la violence au foyer. Les travailleuses encouragées et soutenues peuvent mieux, à leur tour, encourager et soutenir les personnes qui font appel à leurs services.

En outre, de nombreuses personnes ont peur d’échanger avec les jeunes sur ce qui s’est passé, y compris les mères ou parents, mais dans ce silence, nous manquons une occasion d’honorer la façon dont ils ont su assurer leur sécurité. Ce n’est pas une conversation traumatisante, c’est une conversation positive. De cette façon, j’espère également que les travailleuses se sentent mieux outillées et moins inquiètes à l’idée d’interrompre la détresse que partagent l’enfant et la personne qui s’en occupe.

Une partie de ce programme sera conçue en fonction des besoins spécifiques des maisons d’hébergement. Nous allons donc recueillir des informations auprès de chaque cohorte pour savoir ce qu’elle attend du programme. L’objectif est d’élaborer un modèle de pratiques prometteuses afin d’encourager les autres maisons du Canada souhaitant améliorer le soutien qu’elles peuvent offrir aux enfants et aux jeunes exposés à la violence.

CS: Quelles sont les utilisations concrètes de l’approche PEACE dans le travail de première ligne au quotidien?

TM: Je pense que la perspective intersectionnelle doit servir à comprendre que l’on a toujours une réponse à la violence et que l’on y résiste d’une manière ou d’une autre. C’est à nous de savoir cela et de le mettre en évidence. J’espère que ce type d’approche envers les personnes qui ont subi la violence est quelque chose que les gens commencent à comprendre, si ce n’est pas déjà le cas. Nous voulons mettre l’accent sur la compétence — et non la déficience — et comprendre que le comportement est simplement un mode de communication.

CS: En tant que facilitatrice, qu’espérez-vous retirer des sessions de formation?

TM : Chaque fois que je passe du temps avec un groupe, j’en sors très inspirée. Je pense que j’apprendrai énormément des communautés nordiques et rurales, sur leurs défis car, pour ma part, je vis et travaille dans un environnement urbain. J’espère approfondir ma compréhension des enjeux auxquels les gens font face d’une manière très authentique et incarnée. Je sais que je vais aussi être inspirée par l’incroyable créativité et l’ingéniosité nécessaires pour surmonter ces obstacles.

Je m’attends à me faire des amies et aussi, à rire un peu. J’espère que nous allons éprouver de la joie ensemble, ressentir les choses profondément et que je vais évoluer dans cette pratique.

CS : Si les maisons souhaitent en savoir plus sur cette approche, comment peuvent-elles s’impliquer?

TM : Si les maisons veulent savoir plus, elles peuvent s’inscrire à la formation et au mentorat ici! Il est également possible de s’inscrire aux bulletins d’information d’HFC et de la BCSTH. Restez à l’affut pour les pratiques prometteuses qui seront diffusées à la fin du projet. Vous pouvez aussi visiter les liens ci-dessous.

Cette entrevue a été modifiée pour des motifs de longueur et de clarté.