En 2019, Hébergement femmes Canada (HFC) a lancé un nouveau projet visant à déterminer si le processus de planification collaborative de la sécurité connu sous le nom de Cercles de sécurité, développé à l’Île-du-Prince-Édouard, pourrait être utile dans les communautés rurales, éloignées, nordiques et autochtones ailleurs dans le pays. Dans le cadre de ce projet, le HFC a travaillé avec Justice Options for Women Inc, créatrices du modèle des Cercles de sécurité, pour former et soutenir les équipes de trois maisons d’hébergement (MH) en vue d’adapter et mettre en œuvre des Cercles de sécurité dans leur communauté.
Malgré les perturbations et les retards causés par la pandémie de COVID-19, les trois équipes ont travaillé avec diligence pour intégrer certains aspects de ce modèle dans leur travail. Pour marquer la fin officielle du projet en mars 2024, la coordinatrice de l’échange des connaissances d’HFC, Chandra Saha, s’est entretenue avec Gloria Dennis de Justice Options for Women, Leah Stuart-Sheppard d’Hébergement femmes Canada et Karen Sanderson du Piwapan Women’s Centre à La Ronge, en Saskatchewan, pour réfléchir aux forces et aux faiblesses du projet.
Chandra Saha: Gloria, pour commencer, peux-tu nous décrire les Cercles de sécurité et nous dire d’où vient l’idée?
Gloria Dennis: Les Cercles de sécurité sont un processus collaboratif de planification de la sécurité qui place la femme au cœur de l’action. Le premier cercle cherchait à combler un besoin. Une femme craignait pour sa vie et, même si elle était connectée à toutes sortes de services, ces derniers ne communiquaient pas entre eux et elle ne se sentait pas soutenue. Kirsten Lund, qui enseigne la résolution des conflits fondée sur les intérêts à l’université de l’Île-du-Prince-Édouard, et moi-même avons exploré des manières de combler cette lacune. Kirstin a réuni tous les soutiens de la femme autour d’une même table. Les soutiens professionnels bien entendu, mais aussi des personnes qui n’auraient normalement pas participé à la planification de la sécurité, comme sa voisine, une membre de sa famille, son employeur et son intervenante en santé mentale. Par conséquent, tout le monde a reçu les mêmes informations et acquis des connaissances sur les mandats et les limites de chaque service en même temps. Nous avons ensuite réfléchi à la manière de soutenir cette personne en collaboration et d’élaborer un plan de sécurité complet. Le premier Cercle de sécurité était né.
CS: C’est très intéressant. Leah, peux-tu nous dire pourquoi HFC a décidé de partager cette pratique à plus grande échelle?
Leah Stuart-Sheppard: L’un des rôles d’HFC en tant qu’organisation nationale consiste à faciliter le partage de pratiques qui ont fait leurs preuves entre les régions du pays. Nous avons appris que les Cercles de sécurité fonctionnaient bien pour les femmes de l’Île-du-Prince-Édouard qui se trouvaient dans des situations à haut risque, et nous avons pensé qu’ils pouvaient être utiles dans d’autres régions, en particulier dans les communautés rurales, éloignées, nordiques et autochtones, où les taux de violence sont souvent plus élevés. Nous avons reçu un financement de Femmes et égalité des genres Canada pour tester cette pratique prometteuse avec trois MH afin de voir si ce modèle de collaboration et de réussite pouvait être adapté pour répondre aux besoins des survivantes dans leurs communautés.
CS: Karen, le Piwapan Women’s Centre est l’une des trois MH qui ont participé à ce projet. Peux-tu nous dire ce que sont devenus pour vous les Cercles de sécurité?
Karen Sanderson: Nous avons dû relever de nombreux défis. Il a été très difficile de lancer un nouveau processus pendant la COVID, et nous avons dû faire face à des pénuries de personnel. Nous avons également constaté que peu de nos clientes souhaitaient participer à un processus complet de Cercles de sécurité. Mais le fait de réfléchir à la manière de mettre le projet en œuvre nous a vraiment guidées vers le concept de programme global. Nous avons intégré le concept des cercles de sécurité dans l’élaboration de nos plans d’intervention et utilisé le processus basé sur les intérêts pour identifier ce que les femmes veulent et le système de soutien disponible. Cela a très bien fonctionné. Nous pouvions choisir la bonne ressource pour elles au bon moment, plutôt qu’un plan d’intervention générique, et les laisser élaborer elles-mêmes leur plan en discutant de leurs besoins.
CS: Gloria, Karen a mentionné le processus basé sur les intérêts, et nous savons que c’est l’un des fondements du processus des Cercles de sécurité. Qu’est-ce que l’exploration des intérêts et comment peut-elle être utile dans les MH?
GD: L’approche fondée sur les intérêts consiste à prendre en compte les intérêts et les valeurs des personnes présentes à la table, plutôt que de sauter aux solutions. Nous explorons ce qui compte vraiment pour la personne qui a besoin d’un plan de sécurité, puis nous réfléchissons ensemble à la manière de répondre à cet intérêt. Par exemple, une professionnelle pourrait dire «Vous devez vraiment déménager», alors que la femme ne souhaite pas quitter sa communauté. La professionnelle s’intéresse à sa sécurité, mais la femme a également intérêt à rester proche de son réseau de soutien. Nous chercherons donc à répondre à la fois aux enjeux de sécurité et à l’intérêt pour la femme de se sentir soutenue. En outre, le fait de connaître ses intérêts et ses valeurs signifie qu’une solution qui ne fonctionne pas peut être modifiée plus rapidement.
CS: Un autre élément important des cercles de sécurité est la collaboration entre prestataires de services. Karen, peux-tu nous en dire plus sur la valeur de cette collaboration et sur la manière dont elle a évolué pour vous au cours de ce projet?
KS: Nous avons vraiment renforcé la communication avec chaque organisation. Après une référence, nous vérifions comment les choses se passent et si nous pouvons faire quelque chose pour améliorer le fonctionnement. Ou si l’organisation est trop occupée parce qu’il y a eu beaucoup de pénurie de personnel après la COVID, nous pouvons trouver d’autres ressources pour nos clientes. Cela a vraiment renforcé nos relations.
CS: Maintenant que le projet touche à sa fin, qu’est-ce qui vous semble le plus important en termes d’enseignements et de leçons à tirer?
GD: Tout d’abord, ne lancez pas un projet au début d’une pandémie! Mais au-delà de cela, chaque communauté et chaque cliente sont différentes, il faut donc faire preuve d’adaptabilité. Chaque communauté doit tirer parti de ce qu’elle a à sa disposition et cela peut être très différent de ce que je peux offrir à l’Île-du-Prince-Édouard. En même temps, certains ensembles de compétences, comme l’exploration des intérêts, peuvent être utilisés de manière générale avec les clientes ou lors de réunions du personnel ou de réunions avec d’autres prestataires de services.
LSS: Je suis d’accord! Chaque communauté a son propre contexte, sa propre réalité, ses propres défis et obstacles. Ce qui fonctionne à un endroit ne fonctionnera pas exactement de la même manière ailleurs. Lorsque nous échangeons au niveau national, chaque communauté doit prendre ce qui fonctionne pour elle et laisser de côté ce qui ne fonctionne pas.
KS: Je pense que ce que l’on peut retenir de l’ensemble du projet, c’est qu’il faut vraiment travailler avec chaque cliente en fonction de ses besoins, de sa situation, de ses intérêts et de son temps. Il faut bien choisir l’organisation qui travaillera avec elle. Leur redonner du pouvoir en leur offrant la possibilité de s’exprimer sur leur plan d’action et en les laissant décider de ce dont elles ont besoin. Nous nous posons la question suivante: «Voilà, nous avons orienté la cliente, mais qu’avons-nous fait d’autre? Comment assurer le suivi? Comment l’aider à reprendre le contrôle de sa situation et avoir confiance ses propres forces? Et comment renforcer ces points forts?»
CS: Merci à toutes!