Cet article a été rédigé par Anuradha Dugal, directrice générale du WSC.
Cela vous semble-t-il exagéré quand je dis que 14 femmes ont été tuées parce qu’elles étaient des femmes ? À cause d’une idée. À cause de la misogynie. Pour moi, cela ressemble aux conversations que j’ai chaque année pour expliquer pourquoi ce tireur a assassiné 14 femmes il y a 36 ans à l’École polytechnique à Montréal.
Ce tireur pensait qu’il pourrait tuer et faire du mal aux féministes. Il a séparé les femmes des hommes avant de tirer sur les femmes, affirmant qu’il « combattait le féminisme ». L’idée qu’on peut dénigrer le féminisme refait surface. Si tant est qu’elle n’ait jamais disparu. Il n’est pas exagéré d’imaginer que, s’il en avait eu la possibilité, le tireur de l’École polytechnique aurait trouvé une communauté dans la Manosphère d’aujourd’hui.
Un facteur important de la montée du sentiment antiféministe au Canada a été la radicalisation en ligne des hommes – souvent des jeunes hommes – qui se rassemblent sur des plateformes pour exprimer leurs convictions misogynes et leurs théories du complot, accusant le féminisme d’être responsable de ce qui ne va pas dans leur vie. Ils accusent le féminisme, et en particulier les féministes, d’être responsables de ce qu’ils considèrent comme les dysfonctionnements de la société. Cette montée du sentiment antiféministe pose de sérieux problèmes de sécurité pour les personnes qui font partie de nos réseaux et de nos mouvements. Le harcèlement en ligne vise aussi bien les militantes féministes que le personnel des maisons d’hébergement et les survivantes, ce qui crée des risques supplémentaires. Le doxing et le partage d’informations confidentielles sur les maisons d’hébergement en ligne mettent en danger la sécurité des survivantes qui s’y trouvent.
Nous pouvons observer une corrélation directe entre la montée des mouvements antiféministes en ligne et la réduction de l’espace et de la sécurité dont disposent les organisations féministes. Chez Hébergement femmes Canada, nous devons constamment trouver un équilibre entre la nécessité de plaidoyer en faveur d’un meilleur soutien pour le personnel de première ligne (financement, formation, recherche) et la mise en place de changements systémiques à plus long terme par le biais de politiques, de modifications législatives, et de transformation sociale.
Toute violence masculine fait partie du système que nous voulons changer. Un système fondé sur l’histoire du colonialisme et de la violence sexiste au Canada. Le Canada en tant que nation est un projet colonial qui utilise le contrôle et le pouvoir sur le territoire par tous les moyens, y compris la violence, en particulier à l’égard des peuples autochtones, et surtout des femmes. Cette violence est sexiste parce qu’elle touche de manière disproportionnée les femmes, les personnes transgenres, les personnes bispirituelles, les personnes non binaires et leurs enfants, et parce que les auteurs de ces violences sont en grande majorité des hommes.
Chaque fois que les mouvements féministes sont restreints, comme nous le voyons aujourd’hui, les inégalités s’aggravent et limitent davantage les voix et les solutions des Autochtones, des personnes 2SLGBTQ+ et des personnes de couleur. Chaque fois que les voix féministes sont dénigrées et réduites au silence, la réalité du caractère sexiste de cette violence est remise en question et finit par être délibérément effacée.
Aujourd’hui, c’est la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes. Je vis à Montréal depuis mon arrivée au Canada en 1997, quelques années seulement après ce massacre, et ma vie ici a toujours été marquée par les commémorations auxquelles j’assiste chaque année, les conférences que j’ai données, les écoles que j’ai visitées et les blogs que j’ai écrits. Pour me souvenir – et nommer – les 14 femmes tuées ce jour-là et celles qui ont été tuées depuis. Mais cette commémoration comporte deux volets. Il s’agit de se souvenir et d’agir. J’invite donc toutes les personnes qui lisent ces lignes aujourd’hui à agir pour lutter contre cette idéologie antiféministe. Faites un don à votre refuge local. Demandez à votre beau-frère d’expliquer pourquoi sa blague sexiste est drôle. Écrivez au Premier ministre Carney pour lui dire pourquoi le féminisme est toujours aussi important. Ensemble, nous pouvons créer des mouvements qui soutiennent l’égalité et continuer à œuvrer pour un monde sûr pour tous.
