Il existe une tension discrète mais indéniable lors du lancement d’un sondage, lorsque tous les projets, les consultations et les révisions minutieuses font place à l’attente. La décision finale d’appuyer sur « envoyer ». Lorsque les questions sur lesquelles vous avez tant travaillé sont désormais entre les mains des personnes que nous voulons consulter. À ce stade, il ne reste plus qu’à espérer que le soin apporté à l’élaboration des questions porte ses fruits.

En tant que coordinatrice de la recherche pour le sondage national 2025 sur les maisons d’hébergement (MH) au Canada, j’ai rejoint l’équipe d’Hébergement femmes Canada (HFC) en janvier 2025 et j’ai passé la majeure partie des premiers mois de l’année à peaufiner les détails de ce projet. Le choix des mots, l’ordre des questions, le cheminement logique du sondage faisaient partie de mon quotidien et de celui de Robyn, la responsable de la recherche et des politiques, qui a passé l’année 2024 plongée dans la conception et l’élaboration du sondage. Mais aussi prenant qu’ait pu être ce travail, il n’a jamais cessé de nous tenir à cœur, tant pour Robyn que pour moi. Au-delà de la collecte des données, nous voulions créer un prisme qui reflète, aussi honnêtement que possible, les conditions auxquelles sont confrontées les MH au pays. Et plus important encore, nous voulions honorer les personnes qui œuvrent dans le secteur chaque jour.

Dès le début, nous savions que de représenter la diversité du paysage des MH ne serait pas de tout repos. Ces organisations opèrent après tout dans des contextes très différents, des grands centres urbains aux communautés nordiques éloignées, des MH dirigées par des Autochtones à celles qui soutiennent les nouvelles arrivantes. Il existe plus d’un modèle du travail en MH, et le sondage devait refléter fidèlement ces réalités. Nos premières ébauches ont donné lieu à des débats: Comment poser la question du financement d’une manière qui s’applique à la fois à une MH où travaillent de nombreuses personnes et à un petit espace géré par des bénévoles? Comment concevoir des questions suffisamment souples pour tenir compte de ces différentes réalités, mais assez structurées pour fournir des données utilisables?

Bien que nécessaires, ces conversations n’ont pas toujours été faciles. Nous avons consulté des leaders du secteur et des prestataires de services tout au long du processus, et leurs commentaires nous ont poussées à affiner le sondage encore et encore. Les MH nous ont signalé les questions inutiles, les cas où le langage utilisé n’était pas adapté ou des approches contenant des hypothèses qui avaient échappé à notre attention. Ce genre d’honnêteté inestimable nous a été d’une grande utilité. Cela m’a rappelé que la recherche ne se fait pas en vase clos. Une bonne étude, en particulier dans notre domaine, doit être collaborative.

En même temps, le travail sur ce projet a soulevé des questions qui dépassent la conception du sondage. J’ai été confrontée à la réalité. Comme ce que cela signifie de demander à des personnes presque toujours débordées de prendre du temps pour répondre à un sondage. Le personnel est souvent sous-payé, surmené et à bout de souffle. Leur demander de donner leur temps et partager leurs connaissances n’est pas une mince affaire. C’est un acte de confiance.

Et, j’ai appris que la confiance ne se construit pas en disant « nous nous soucions de vous » ou « votre avis compte pour nous ». Elle se construit en montrant que nous comprenons leur quotidien, en rendant le questionnaire aussi clair, respectueux et pertinent que possible, et en nous engageant à utiliser les résultats de manière proactive. C’est aussi en étant honnête sur les limites de ce que peut faire un sondage. Une liste de cases à cocher ne rendra jamais totalement compte de la douleur liée à l’impossibilité de fournir tous les services dont peut avoir besoin une survivante, ni de la résilience du personnel qui trouve des moyens de continuer à travailler malgré des conditions impossibles. Mais si le sondage réussit à traduire la réalité des services, des lacunes de financement et des besoins urgents, il devient soudainement possible de faire évoluer les conversations vers un véritable changement.

En tant que coordinatrice de recherche, j’ai eu le privilège de participer à cet exercice d’équilibre entre l’aspect technique de la logistique et la responsabilité éthique d’un travail bien fait. J’ai passé des heures à débattre autour d’une seule question parce que je sais que la différence entre « adéquat » et « approprié » n’est pas seulement sémantique. La formidable équipe d’HFC dont je suis fière de faire partie, avons contribué à ce travail malgré nos emplois du temps chargés. Nous nous sommes assurées que le sondage soit accessible, non seulement en termes de langage mais aussi, au niveau de sa conception. Nous savons qu’un langage clair et concis peut faire la différence entre un sondage terminé ou un sondage abandonné à mi-chemin.

Maintenant que le sondage est lancé, je réfléchis déjà à la prochaine étape. La collecte de données n’est qu’un chapitre. Ce que nous allons faire des réponses, comment nous allons les analyser et partager les résultats, la manière dont nous allons amplifier les voix qui se cachent derrière les chiffres, c’est là que commence véritablement notre histoire. Le secteur nous a fait confiance en nous accordant son temps, ses idées et son énergie. C’est à nous d’honorer cette confiance.

Cette expérience m’a fait prendre conscience d’une chose: une bonne recherche est une question de relations, pas seulement de résultats. Il s’agit d’écouter autant que de demander. Derrière chaque donnée se trouve une personne, une équipe, une communauté qui accomplit le travail essentiel mais ardu de soutenir les femmes et les personnes d’une diversité de genres qui fuient la violence. Ce lancement n’est qu’une étape, mais je suis particulièrement fière d’y avoir contribué.

Chika Maduakolam est coordonnatrice de la recherche chez Hébergement femmes Canada. Elle est également doctorante en études socio-juridiques à l’Université York. Elle a participé à plusieurs projets de recherche internationaux sur la violence fondée sur le genre.